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  • 2005
25 mai 2005

Elvire

 

   
La lune entrait dans le dernier tiers de la nuit, une légère traînée de brume s’étirait lentement devant elle. Paul s’éveilla, la bouche sèche. Sûrement un effet secondaire de ce vin blanc, un entre-deux mers sec qui avait accompagné le plateau de fruits de mer la veille. Il se leva délicatement pour ne pas réveiller Lydie et enfila son caleçon à tâtons. Toujours silencieusement, il se glissa hors de la chambre. Lydie se retourna et repoussa le drap. Il eut le temps d’apercevoir fugitivement ses formes dans la pénombre et un sourire se dessina.

Sa main frôla le mur du couloir et ses pieds nus glissaient sur la moquette afin de parer à tout éventuel jouet d’Elvire qui pourrait se trouver sur son chemin. Il passa devant la porte de la chambre de l’enfant et à nouveau le sourire refit son apparition. Il résista au plaisir d’entrouvrir cette porte.

Enfin, il entra dans la cuisine et poussa l’interrupteur. La lumière se fit, aveuglante et il cligna des yeux. C’était douloureux. Il se dirigea vers l’évier et prit un verre qui avait fini de sécher sur l’égouttoir, le remplit d’eau et but d’un trait, sans respirer. Il le remplit à nouveau mais cette fois, but plus doucement, son regard fixant la lune. Un chat poussa un miaulement strident, semblable à un cri de bébé et le fit sursauter. Inquiet, il rinça son verre et le reposa sur le bord de l’évier. Il reprit son voyage en sens inverse après avoir éteint la lumière, toujours la main frôlant le mur.

Devant la porte d’Elvire, cette fois, il ne résista pas à l’envie de la pousser et de contempler quelques secondes,la deuxième femme de sa vie. Il le fit doucement, pour ne pas risquer d’interrompre le sommeil de la petite. Ce petit bout d’à peine huit ans qui était sa fierté, sa plus grande réussite dans la vie.

Une fois la porte entrouverte, il lui fallut adapter sa vision à l’obscurité quasi totale la pièce. La petite tenait à ce que son store soit complètement fermer pour dormir, qu’il ne puisse même pas passer un rayon de lune. A force de fouiller dans l’ombre épaisse de la chambre, il finit par percevoir le petit lit et son drap blanc imprimé de motif plus sombre. Mais le drap était bizarrement plat. Il plissa les yeux cherchant à percer la nuit. Mais non, le drap n’avait aucune forme.Il se dit alors qu’elle avait du glisser de son lit et était restée endormie par terre, sur la moquette. Il poussa le battant jusqu’au bout et avança dans la chambre. Il allait la remettre dans son lit. En pénétrant, il eût le sentiment qu’elle n’était pas allongée à terre, à côté du lit... sentiment qui se confirma. Il se baissa, un peu angoissé, promena ses mains sur la moquette... rien ! Sous le lit, peut-être s’était-elle glissée sous le lit, ensommeillée.

Il s’agenouilla, se mit à plat ventre et fit glisser ses bras. Sa main frôla une peluche, l’attrapa et la tira... le bébé castor dont elle ne savait plus ce qu’il était devenu... ses mains refirent une expédition. Toujours rien, rien de plus que quelques billes et éléments de dînette.

Il commençait à avoir du mal à respirer. Son coeur semblait s’affoler. Il se releva nerveusement et fit la lumière à l’aide de la petite lampe sur la table de nuit encombrée de cartes de ses héroïnes préférées. Ses jambes se mirent à trembler. Il jeta encore un regard à la pièce.

Il se rua alors dans le séjour, espérant la trouver endormie sur le large canapé, une lubie qu’elle avait. Il ne se passait pas une semaine sans qu’elle ne demande à y dormir. Il alluma et la lumière inonda la pièce. La nausée le prit et une sueur froide se mit à perler le long de sa nuque. Elle n’y était pas... Il remonta le couloir, ouvrit brusquement la porte de leur chambre, s’approcha de Lydie, lui tapa sur l’épaule, les jambes tremblantes.

- Lydie, Lydie ! réveille toi ! Elvire ! Elle n’est plus là  !

Lydie se retourna et se releva sur un coude, à moitié shootée de sommeil.

- Elvire, quoi ? Qu’est ce que tu me dis ?
- Elvire, oui, il avait de la peine à ne pas hurler, elle n’est plus dans sa chambre ! Elle a disparu, tu m’entends ?

Lydie blanchit tout d’un coup, se leva vivement et courut vers la chambre de l’enfant.

- Elvire, prononça-t-elle, un tremblement dans la voix, ma petite fleur.

C’est en voyant le lit qu’elle comprit la signification de ce que lui avait dit Paul. Il la suivait, secoué de spasmes avec dans la gorge comme une poignée de lames de rasoir. Sa raison se fissurait. Sa petite Elvire ! Non ! Ca n’était pas possible ! Sa compagne tourna la poignée de la porte donnant sur le jardin et enregistra inconsciemment qu’elle n’était pas verrouillée... Elle allait sortir mais elle prit conscience de sa nudité, vieux réflexe qui ramenait les choses à des repères et permet, peut-être, d’affronter les événements. Elle retourna en courant, chercher un peigngoir.

Paul avait compris et il se mit à errer dans le jardin. Un petit jardin dans lequel il ne voyait pas où la petite avait pu se cacher.Néanmoins, il regarda sous la table de PVC et fit le tour et remarqua que le portail grillagé était entrouvert. Il s’avança, le tira pour passer et sortit sur le trottoir faiblement éclairé par des lampadaires. Il va et vient, jetant un coup d’oeil par dessus les haies des maisons voisines et réveille le chien de l’une d’elle en heurtant une poubelle.

- Ce p... de chien, marmonne-t-il au bord de la crise de nerf.

Et là, il s’assoit et se met à pleurer, convulsant comme atteint de la maladie de Parkinson. Il ne voit même pas Lydie qui s’approche de lui, étrangement calme. Il sursaute quand elle lui dit, la voix enrouée :

- Allez, viens ! On va appeler la police. On ne
pourra pas faire mieux ! Viens ! Je t’en prie !
Il se lève toujours hoquetant, la gorge encore serrée comme un noeud en fibre de verre pilée.
- notre petite Elvire, gémit-t-il d’une voix complètement éraillée... Et tous les deux, se soutenant par la taille, reviennent chez eux à moitié titubant.

Le chien continue d’aboyer...

- Monsieur LUDRIN, on va reprendre  : donc vous vous levez pour boire un verre d’eau cette nuit vers trois heures...      

L’enquêteur, un peu bedonnant, le cheveu un peu rare et les yeux collés d’un qui a été interrompu dans son sommeil, résume les notes qu’il a prises d’une voix monocorde. Paul, lui en face, les coudes sur le bureau, la tête dans la main, s’énerve. C’est la seconde fois qu’il lui raconte l’affaire. Les lumières du commissariat sont d’un jaune pisseux et sur le bureau en contreplaqué qui date certainement d’avant les évènements de mai 68, s’empilent en strates des dossiers de toutes les couleurs sur lesquels sont inscrits des noms et des numéros. Paul ne doute pas un instant que leur dossier finira par rejoindre ceux-là. Le seul élément moderne est l’ordinateur portable sur lequel l’enquêteur tape leur déposition.
Le policier s’arrête, allume une cigarette, regarde Paul et Lydie :
- J’imprime la déposition, vous la signerez et on vous tiendra au courant ! J’ai déjà mis deux hommes sur le coup et fait diffuser la photo de votre fille dans tous les commissariats et gendarmeries du département.

Il paraît un peu confus et gêné.

Ecoutez, ne vous inquiétez pas, restez...
A ce moment là, le téléphone sonne avec stridence dans le bureau. Le policier ne semble pas en prendre conscience et continue de parler. Paul n’entend plus qu’un grommellement entrecoupé des stridulations du téléphone. Putain ! Il peut pas s’arrêter !

- Paul, Mon amour ! C’est l’heure ! et puis arrête ton réveil, il va me rendre folle !

Et elle dépose un baiser sur son cou, à la base de son épaule.
Dans un grognement , Paul interrompt la sonnerie, se retourne hagard, regarde Lydie et lui dit , encore dans les vapes :

- J’ai fait un cauchemar, c’était... horrible, c’était...

- C’est rien , c’est fini, mon chéri! Maintenant, tu es réveillé et on va partir au marché, tous les trois. Mais si on veut pouvoir encore trouver quelque chose, va falloir se dépêcher !

Et elle sortit. Paul laissa son regard s’attarder sur son corps et à nouveau un sourire se dessine. Bien sûr ce n’était qu’un cauchemar ! Il se lève, attrape son caleçon et se dirige vers la salle de bain.
En passant devant la chambre d’Elvire, il a une légère tentation, pousser la porte, se rassurer. Le cauchemar était tellement prégnant. Ca n’était qu’un cauchemar ! Il décide de laisser la petite dormir encore un peu.
Il rentre dans la salle de bain et va prendre sa douche. Malgré le jet , il n’arrive pas à se débarrasser de l’angoisse. Ca avait l’air tellement réel...

- Paul ! Paul

C’est la voix de Lydie.

- Paul ! Vient vite ! Vite !

Elle secoue la poignée. Il arrête la douche et ouvre  la porte précipitamment.

- Elvire ! hurle-t-elle, elle n’est plus dans sa chambre ! Son lit... son lit est vide  !...

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