Petit
Il sautillait sur le trottoir laissant courir ses doigts sur les carrosseries des voitures, heurtant à intervalles irréguliers les rétroviseurs. Pensif ou rêveur, il échafaudait toutes sortes d'histoires invraisemblables où intervenaient des dragons et toutes sortes de créatures de rêve ou d'horreur. Le cartable tressautait sur ses épaules. Le soleil du mois de mai se faisait encore frais. Il arriva au bout du trottoir et s'arrêta, scruta l'horizon de la rue avant de se décider à avancer, bondissant d'une bande blanche du passage piétons à l'autre. Soulagé, il se retourna pour examiner son exploit, s'essayant au petit rictus qu'il avait pu voir sur les lèvres de ses héros préférés. La dame qui faisait traverser les enfants à cet endroit eût un petit sourire, mais il ne la vit pas trop occupé à réfléchir sur la manière dont il allait organiser la partie de foot à la récré de dix heures.
Il monta les trois marches du perron et vit son copain Carlo, le ballon à la main.
- Chouette, t'as pensé au ballon !
- Oui, on va faire un match contre les CM1.
Alors qu'ils passaient la porte d'entrée, la sonnerie retentit.
Il
monta les escaliers pour rejoindre sa classe, accrocha son blouson au
porte manteaux et rentra dans la classe non sans avoir salué ses amis.
La
matinée se passa de manière plus ou moins attentive, le regard allant
du cahier au tableau, du tableau à la fenêtre ou vers Pierre.
Quelquefois, sa tête allait sous son bureau pour attraper un autre
cahier ou le livre que la maîtresse demandait. A certains moments, son
front se plissait et la concentration figeait son regard jusqu'à ce que
la réponse éclaire son visage d'un immense sourire, et là, il levait le
doigt en s'écriant :
- M'dame ! M'dame !
Et lorsqu'elle lui
intimait l'ordre de se taire afin de laisser les autres finir, une moue
boudeuse se dessinait, invariablement, son regard se tournait vers la
fenêtre où une branche de platane qui n'avait pas été taillée,
surgissait tel un serpent menaçant la classe et la maîtresse... Alors,
il brandissait son feutre fluo laser et désintégrait cet être
malfaisant venu des profondeurs galactiques d'un quelconque dessin
animé japonais. A moins qu'un rayon de soleil ne se soit reflété sur sa
règle plastique et qu'il y vit là le signe qu'il était l'élu du grand
Jedi...
Quelquefois, Anna lui tirait la manche et lui racontait une histoire drôle sûrement trouvée sur un biscuit sec ou un emballage de Carambar.
La sonnerie de la récré retentit. La maîtresse finit de ramasser les cahiers puis les fit sortir en essayant de les maintenir dans le calme jusqu'en bas des escaliers.
Il exultait et cherchait Carlo et les autres du regard, vérifia qu'ils avaient bien le ballon.
La partie allait pouvoir commencer...