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25 mai 2005

Délivre nous des mots

J’étais sorti de ce bar avant que le patron ne s’en occupe. Je n’ai pas regretté, sauf peut-être l’Adelscott que je n’avais pas pris le temps de finir. J’étais encore tremblant de rage, conséquence directe de leurs histoires de bougnouls comme ils disaient… quelques jours avant les élections…

Il yen avait un gras, tout couperosé, un mégot à la bouche, style gitane qui pue et qui respirait bruyamment quand il ne braillait pas, un verre de jaune à la main :

-Faut les voir à la mairie ! Y’a que le service social qu’y connaissent… J’te leur foutrais un service d’ordre, moi ! Ca viderait la mairie et la Claudine, elle s’emmerderait moins !

- Hé Gégé, tu les as pas vus à l’ASSEDIC hein ? C’est pas croyable, tu te croirais à Bougnoul City ! Y z’ont dû embaucher des traducteurs, tu crois pas ?

Lui, sa voix grinçait comme les dents d’uns fourchette sur une assiette. Il était d’ailleurs taillé comme une fourchette, pas bien épais mais tout en nerfs et toujours un verre de Ricard à la main ! Et puis il y avait l’autre gros, plus gros que le dit Gégé. Lui, il n’arrêtait pas de ricaner comme un rat qui couine. Il s’arrêta pour laisser passer un énorme borborygme et lâcha une série de vents qui les fit hurler de rire, y compris le patron. L’horreur !

-Voilà comment je leur parle aux Bougn’, ajouta-t-il d’une voix égale à son rire. Et là dessus, il en relâcha une nouvelle série qui provoqua à nouveau l’hilarité générale…

-Hé, y’a pas grand chose à faire hein ? Tu vas voir dimanche, ça va pleurer dans les chaumières…

-Tu veux dire dans les cités, railla Gégé, qu’est ç’t’en penses p’tit gars ?

Le p’tit gars, c’était moi… et ma figure devait en dire long sur ce que j’avais en tête. Je n’ai pas répondu. J’étais vraiment mal alors j’ai replongé le nez dans ma bière.

-Hé le p’tit pédé, Gégé y t’as posé une question, hein ?

Pour la plupart,, ils avaient versé quelques verres de trop sur des années de rancœur. Mais, ça n’était pas une excuse, tout juste une explication. Alors le gros a posé sa main sur mon épaule. C’en était trop. D’une voix que j’espérais suffisamment assurée, j’ai dit que ça n’était pas le problème, mais j’étais tout seul pour le dire… J’ai ajouté que je les enduisais de matières fécale ( de façon moins littéraire pour être sûr d’être compris) et puis j’ai posé trois euros, suis descendu de mon tabouret et je suis parti en jetant au patron qu’il pouvait garder sa monnaie…

J’ai quand même laissé la porte ouverte sur les moins trois degrés de la rue, rêvant que ça ferait descendre d’autant leurs taux d’alcoolémie et ce faisant, remonter leur degré de réflexion… Je rêvais, dis-je !

Je n’aurais peut-être pas dû… J’étais encore plongé dans ma rage, ruminant ce que je n’avais pas dit, la répartie que je n’avais pas eu, ce que j’aurais encore voulu leur avoir dit… A quoi bon, ça m’aurait amené à quoi tout ça ? J’en étais là de mes réflexions quand j’entendis des vociférations. Je n’eus pas le temps de me retourner, une main me broya l’épaule pendant que quelque chose de dur me rentrait dans les reins. Je me sentis défaillir, un grand vide entre deux battements de cœur. Ca sentais drôlement mauvais, et pas seulement le Ricard ! La nausée me prit et des larmes emplirent mes yeux. Le peu de bière que j’avais ingurgitée se mêlait à la bile… C’était ignoble !

L’étau qui m’écrasait les os de mon épaule me retourna et me balança un marteau pilon dans la figure. Là, je commençais à ne plus trop me souvenir de grand chose… coups de poing puis coups de pied quand je fus à terre tout ça dans des hurlements de chiens à la curée parfumés à l’anis. Puis ça s’arrêta aussi brusquement que ça avait commencé.

Je restais allongé à même le goudron, arrivant à peine à respirer le visage dans tout ce qui avait pu se vider de mon estomac endolori et du sang qui dégoulinait de mes arcades, nez et bouche – si on pouvait encore appeler ça un visage. La rue n’était pas vraiment passante et j’ai dû rester là une bonne demi-heure, grelottant autant de froid que de peur et de souffrance.

Je les entendais qui péroraient sur le sort des petits c… qui n’avaient même pas fait l’Algérie, ni même le Tchad, peut-être même qu’il n’a pas fait l’armée, pour sûr !

J’ai relevé la tête et essayé de me relever.

-Hé, Gégé ! Regarde, il bouge encore !

Ils se sont rappliqués en cercle autour de moi.

-Je crois qu’on a été trop gentil ! Allez on va le finir !

Le bleu d’un gyrophare s’est reflété sur les murs de la petite rue et s’est arrêté devant le groupe dans un crissement de pneus. Les portières ont claqué.

- Un problème les gars ?
-Non, rien ! Le p’tit gars là, il est malade ! Il a pas assez picolé,
sûrement, ricana Gégé. Il a voulu partir tout seul, mais il tient pas sur ses quilles ! On s’propsait de le ram’ner à sa turne, hein petit ?

Il fallait que je me relève, que je parle à ces flics…

- Allez petit dis ! On va te ramener chez toi, hein petit ? Hein Gégé
qu’on va le ramener chez lui ?

L’un des flics s’approcha. Le dit Gégé s’avança vers lui et lui balança :

-Faites pas gaffe, il est sonné ! Cuit ! Naze ! de chez naze !
-Laissez moi voir, lui asséna le policier, Monsieur ?

Il s’accroupit. L’autre arrivait à la rescousse.

-Allez ! Dégagez de là ! On va appeler une ambulance !

-Il est pas seulement bourré ! constata le second. Vous avez vu quelque chose, vous autre ?

Silence de mort !

-Dégagez, reprit l’autre, dégagez de là sinon on vous coffre !

Personne ne sembler vouloir obtempérer. Alors il s’énerva :

-Montrez vos papiers ! Contrôle d’identité !
-Ca va les calmer, marmonna-t-il.

Gégé a alors sorti son pétard et a ouvert le feu sur les deux flics… comme ça ! Puis il a pris son mouchoir, a essuyé le pistolet puis toujours le tenant dans le mouchoir par le canon, il l’a mis dans ma main droite, a enserré mes doigts dessus puis il a lancé à la cantonade :

-Allez, c’est ma tournée !

Et ils sont retournés au bar !


 
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