Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
autres vues
Derniers commentaires
Archives
  • 2005
23 mai 2005

le blues de la tortue

Son regard brillait dans l’attente d’un mouvement imperceptible de cet univers nocturne. Le ciel n’allait pas tarder à blanchir. Le vent depuis de longues heures, avait cessé de caresser de son souffle la cime des arbres. La lune terminait sa course à travers l’infini de la nuit. Plus un souffle, plus un bruit ne le faisait frémir. Une atmosphère de rêve d’amour envahissait cette fin de nuit. Une larme suivit les contours de sa joue puis se logea dans le creux de son épaule. La rosée comme si elle n’avait attendu que cela, fit perler des milliers de larmes sur chaque brindille, sur chaque pétale. Le jour commençait à jouer et effaçait le ciel.

Elle tourna la tête et caressa de son regard l’homme qui dormait à côté d’elle. La paix, la joie, la mélancolie se mêlèrent confusément dans tout son corps. Puis ses mains continuèrent ce que ses yeux avaient commencé. Elles se posèrent sur son cœur, comme pour le protéger, l’empêcher de se brûler au jour. Ses mains se glissèrent à son cou et s’aventurèrent sur son visage, sur ses lèvres qui, depuis qu’il s’était endormi, n’avaient cessé de sourire. Son regard s’éveilla, émerveillé, ses yeux papillotèrent.

Il rit comme un enfant, heureux de s’apercevoir que la fée ne s’est pas transformée en sorcière et lui demanda :

- C’est toi qui me fait ça ?

- Et toi, tu es là ?

Il posa un doigt sur sa bouche et ferma les yeux :

- Chut ! Il n’y a que toi qui le sache !

La nuit avait disparu sans laisser de trace, sans laisser de traînée couleur nuage. Le soleil n’avait pas encore réchauffé l’air et le sol. Leurs corps quant à eux, frissonnaient et leurs consciences, lasses d’avoir été aiguisées, s’étaient éclipsé.

L’enfer de la ville avait commencé son manège. Il était à peine neuf heures et demi et la circulation s’étalait maintenant sur plusieurs kilomètres de macadam en feu. Les buildings et hauts bâtiments n’avaient sans doute vu que des gaz toxiques depuis longtemps. Les moteurs hurlaient désespérément à travers les longs coups de klaxon hystériques.

Dans sa Coccinelle, Sylvain augmenta le volume de son autoradio, afin de couper à ce tapage mécanique dans lequel il était enfermé. Le long et lent Turtle Blues qui s’écoulait des haut-parleurs, envahissant l’habitacle de l’auto, le mettait dans un état particulier ; il ne voyait ni ne sentait tout ce qui se passait autour de lui. Il n’entendait plus que cette voix qui lui murmurait :

-Et toi, tu es là ?

Ses oreilles étaient emplies de ces dernières paroles, de ces derniers souffles de parole. Cette nuit se redéfilait devant ses yeux. Cette nuit où le vent s’était tu…

Cette voix, ce murmure, ce souffle, de quoi se souvenait-il ? Le passé s’estompait-il ? Etait-il cette tortue blindée contre la réalité qui se fabriquait un passé ?

Etait-ce réellement le passé ? Le Blues de la Tortue, la musique empêchait la réalité de se détacher…

Le pommier abandonné depuis longtemps dans la prairie, frissonna sous la brise qui s’était levée peu après le jour Sylvain ouvrit les yeux et se tourna cherchant un baiser de Dyane. Il manqua d’air, sa gorge prit feu, il l’avait encore perdue. Où était-elle allée ? S’était-elle endormie à coté de lui ce matin ? Il lui restait pourtant le parfum de son corps à l’esprit, ce corps souple qui s’était encore penché sur lui, quelques minutes auparavant ! Cette présence si réelle qui s’était enlacée autour de son corps…

Sylvain enfila son jean et son tee-shirt, mit ses sandales et courut dans la prairie, la descendit comme un fou. Devant la maison, il fut effrayé, quelque chose n’allait pas ; il hurla :

-Dyane ! Dyane ? ? ?

Il poussa le battant de la porte comme un damné, traversa la salle à manger les larmes aux yeux, s’arrêta devant la porte de la chambre, il eût peur, fit tourner la poignée, la main crispée comme s’il comme s’il eût voulu l’écraser dans sa paume.

De sa gorge prête à craquer, éraillée, cherchant l’oxygène à travers le nœud d’aiguilles qui s’y était formé, sortit un gémissement rauque :

-Dyane…

Il stoppa net : « Qui était-elle pour disparaître ainsi ? »

Son regard tournait dans la salle à manger ; que manquait-il ? L’impression que personne n’était entré ici depuis longtemps hantait cette pièce, cette maison. Pourtant, la veille n’avaient-ils pas dîné tous les deux sur cette table de chêne massif ? Les cendriers étaient vides et semblaient avoir gardé la place respective où il les avait trouvés en arrivant. Sylvain ouvrit la fenêtre et s’y accouda. Il ne comprenait plus : « Ils étaient arrivés deux jours auparavant avec Dyane dans sa Coccinelle et aujourd’hui, elle semblait n’avoir jamais existée… » Il referma la fenêtre et alla faire quelques pas dehors. Il fixa le vieux pommier. « Dyane, infailliblement, elle avait existée. Quand ? La nuit dernière ? Ces deux derniers jours ? » Ses doigts firent tourner la grosse clé dans cette ancienne serrure. Il monta dans la voiture, lança le moteur et s’enfuit vers la ville…

Il était à peine place du Palais. Les automobiles étaient toujours enchaînées les unes aux autres, des chaînes sur plusieurs files qui n’avançaient jamais de plus de deux ou trois mètres.

Depuis dix minutes, Sylvain n’avançait plus, noyé dans le Blues de la Tortue. Les mains n’étaient plus sur le volant, la voiture avait calé. L’esprit de Sylvain flottait dans le dernier regard de Diane qu’il avait perçu.

Un homme bedonnant et hirsute descendit de la R25 collée à son pare-chocs et s’approcha de la fenêtre fermée de la Coccinelle et rouge de colère se mit à insulter Sylvain à travers la vitre tout en assénant des coups de poings sur le capot.

Sylvain laissa aller sa tête en arrière et n’essuya pas les larmes qui glissaient sur ses joues « Peut-être suis-je une tortue dont la carapace set mon imagination, Dyane, où es-tu Dyane ? ».

Son corps se relâcha, ses yeux, vides d’espoir, percutaient l’horizon, son regard devenu invulnérable et immobile.

Publicité
Commentaires
Publicité